Mario Stasi dans la Croix du mercredi 6 mars 2024

La loi Pleven de 1972 a créé les délits spécifiques d’injure, diffamation à caractère raciste ainsi que la provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence raciale. Mais ce texte introduisait une exception dans la loi sur la liberté de la presse qui date de 1881. La Licra milite pour que l’on sorte de ce cadre et que l’on fasse entrer ces infractions  dans le droit commun. Aujourd’hui, la propagation de la haine atteint de tels niveaux qu’elle représente une véritable atteinte à la cohésion sociale. L’enjeu va bien au-delà du délit de presse classique comme la diffamation, car il y a un continuum entre la parole et l’acte antisémite ou raciste. Comme le disait Robert Badinter, les mots sont des fusils chargés. Il est nécessaire de sortir de ce phantasme que le mot n’est pas important. En matière symbolique, de représentation sociale de ce délit, l’inscrire dans le droit commun serait donc important. Certains défenseurs des droits de l’homme considèrent que le mot n’est pas un acte et ne peut être traité comme tel, mais on ne peut plus, face à la réalité, se satisfaire d’un débat purement philosophique. À l’heure du développement des réseaux sociaux, nous ne sommes plus dans le registre d’une parole libérée mais d’une parole débridée qui ne s’interdit plus aucune limite. Au-delà de la dimension symbolique, reste que le droit de la presse pose un cadre procédural très contraignant quant au délai de prescription ou d’organisation de l’instruction, par exemple. Ce carcan procédural fait le bonheur des avocats des propagateurs de la haine. Il y a aussi certaines habitudes à casser. Un certain snobisme, un entre-soi, pousse à considérer que la 17e chambre du tribunal judiciaire de Paris, la chambre de la presse, est la seule à même de traiter du contentieux raciste ou antisémite. Il n’y a aucune raison que tout cela n’évolue pas. Depuis plusieurs années, on a en France une politique des petits pas qui consiste à sortir progressivement ce contentieux de ce cadre spécifique. La proposition de loi de Mathieu Lefèvre va dans ce sens marquer une étape supplémentaire et nécessaire. L’autre grand chantier est l’application de la loi. Il s’agit de renforcer la formation des magistrats qui auront à mener l’instruction dans ces contentieux et à veiller à la sévérité de la réponse pénale. Rappelons-nous qu’il a fallu plus d’une dizaine d’affaires pour qu’un personnage comme Dieudonné soit enfin condamné à de la prison ferme. Bien souvent, les peines sont encore trop faibles. Le problème est juridique, politique et culturel. C’est la raison pour laquelle la Licra appelle, depuis plusieurs années, à faire de la lutte contre le racisme et l’antisémitisme la grande cause nationale, pour promouvoir une vraie politique globale. Les moyens que la collectivité consacre à ce combat sont aujourd’hui insuffisants.

Recueilli par Bernard Gorce